Conservatoire de musique et d'art dramatique d'Aix-les-Bains
Elle fut le premier professeur à répondre à mon invitation après ma nomination de directeur au Conservatoire municipal de musique d’Aix-les-Bains. C’était le mercredi 3 septembre 1969, deux jours après ma prise de fonction. Malgré son attitude distante et assez glaciale, notre entretien fut cordial et plutôt fructueux. Son discours sur la musique et sur l’enseignement me séduit. Elle entra dans mon bureau professeur de piano pour débutants. Elle en ressortit professeur de piano tous niveaux et professeur de solfège supérieur. Depuis ce 3 septembre, on ne s’est jamais quitté et elle a toujours suivi avec un intérêt parfois amusé les différentes réformes que j’ai mises en place. On a beaucoup ri de cette courte période où elle enseignait le piano simultanément dans deux salles contiguës, portes ouvertes, sur quatre pianos avec douze élèves en même temps. C’était la grande réforme de la pédagogie de groupe.
Elle aimait avant tout Bach, Mozart et Richard Strauss et nous ne pouvions que nous rejoindre sur nos goûts communs, comme cet amour immodéré de l’illustre soprano Elisabeth Schwarzkopf, qui nous a convaincu d’organiser la projection du film « Don Juan » avec notre idole dans le rôle de Donna Elvira, dirigé par l’insurpassable Wilhelm Furtwängler, ceci dans le cadre de la Société des Concerts du Conservatoire où elle a été tour à tour secrétaire et trésorière. Son avis sur les grands compositeurs et les grands interprètes était sans appel. Sa culture musicale était énorme. Je ne pourrai oublier le soir où nous avions invité la célèbre pianiste Brigitte Engerer. La conversation que nous avons eue tous les trois avant le concert, durant près de deux heures, à la cafétéria du Centre des Congrès, aura été un échange profond entre elles deux, comme de vieilles amies qui racontent leurs souvenirs et qui ne peuvent plus se quitter. Jeanne Caucino, connue pour avoir un caractère difficile, avait un cœur en or et nombre de ses élèves ne l’ont pas oubliée. Elle recevait chez elle, alors qu’elle avait pris sa retraite, certains de ses anciens et anciennes jeunes élèves, devenus papas et mamans et c’était chaque fois un bonheur qu’elle ne manquait pas de me rappeler.
Depuis 2004, en retraite tous les deux, une où deux fois par mois nous nous retrouvions autour d’une tasse de café dans un bistro de la ville et nous ne manquions pas de refaire le monde. Je ne l’avais pas revu depuis trois mois. Elle était très fatiguée. Mais nous nous téléphonions et avions toujours l’espoir de reprendre nos illusoires révolutions. Elle est partie, elle s’est tue, et je ne l’ai su que quelques semaines plus tard. Jeanne Caucino aura été une grande dame, une de celles qui ne payent pas de mine, mais qu’on ne peut oublier. Et aujourd’hui qu’elle est de l’autre côté de l’ailleurs, je sais qu’elle n’est pas seule. Elle a rejoint son image, celle de son miroir, celle de « la dame à la bûche », qui détient les secrets des humains parce qu’elle aura su toute sa vie se contenter des fondamentales.
Merci Jeanne…
Hervé Gallien

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