« Ceux qui partent tombent dans la question et laissent les autres sans réponse. »
Il y a dans cette phrase une résonance à la fois poétique et psychanalytique : elle dit quelque chose de la perte, du manque, et du rapport du sujet au sens. Celui qui part, qu’il s’agisse d’un être aimé disparu, d’un ami éloigné ou d’un simple départ symbolique, ne s’efface pas seulement du champ de la présence : il ouvre une brèche dans le langage, un trou dans le sens. En partant, il « tombe dans la question » — il cesse d’être un interlocuteur, pour devenir une énigme.
La psychanalyse, depuis Freud, nous apprend que le départ de l’autre est toujours une épreuve du manque. La perte réelle ou symbolique met en jeu la structure même du désir : c’est parce que l’objet s’absente que le sujet se met à chercher, à questionner, à produire du sens. Celui qui part n’est plus un être de parole, mais un point de silence autour duquel s’organise toute une interrogation. L’absence devient alors féconde : elle pousse le sujet à parler, à interpréter, à tenter de combler par le langage ce qui, fondamentalement, échappe à toute saisie.
Mais la phrase ajoute que ceux qui partent « laissent les autres sans réponse ». Et c’est bien là le drame du rapport au réel : il n’y a pas de réponse à la perte. L’autre ne dit pas pourquoi il part, ni pourquoi il me manque ; et même s’il le disait, cela ne suffirait pas. Le départ confronte le sujet à ce point d’impossible qui échappe à toute symbolisation, ce point que Lacan nommait le réel. Les vivants, les restants, cherchent désespérément une signification à ce vide, mais toute réponse se dérobe, toujours partielle, toujours insuffisante. Le silence de l’autre devient ainsi la marque d’un impossible à dire.
Ceux qui partent deviennent, pour ceux qui restent, des figures du manque et de la question. Ils sont ce autour de quoi le sujet tisse son rapport au monde, à la parole, au désir. La perte n’est pas simplement une blessure, elle est aussi ce qui met le langage en mouvement : elle crée la nécessité de parler, d’interpréter, d’habiter l’absence. Paradoxalement, c’est dans le vide laissé par le départ que le sujet trouve la possibilité même de se constituer comme être parlant.
Ainsi, « ceux qui partent tombent dans la question et laissent les autres sans réponse » résume, d’une manière presque aphoristique, la condition du sujet selon la psychanalyse : être aux prises avec le manque, chercher sans jamais trouver, parler pour tenter d’approcher un réel qui, toujours, se dérobe. Ce n’est pas seulement une phrase sur le deuil, c’est une phrase sur le langage lui-même — sur cette tension entre l’absence et le désir qui fait de chaque être humain un éternel questionneur.
