Dans la perspective freudienne, Killing Eve illustre magistralement le duel et l’entrelacement de la pulsion de vie (Eros) et de la pulsion de mort (Thanatos). Eros : l’attirance irrésistible entre Eve et Villanelle, qui dépasse la logique, le genre et la morale. Thanatos : le danger permanent, le meurtre, la destruction, que chacune attire sur l’autre. Leur relation est une danse mortifère où l’amour ne peut se dissocier de la violence — un amour qui, pour exister, doit frôler la mort.
Eve et Villanelle fonctionnent comme des doubles psychiques : chacune incarne une part refoulée de l’autre. Eve : apparence de normalité, vie bourgeoise, mais fascination pour le transgressif et l’interdit. Villanelle : pur passage à l’acte, jouissance de la transgression, absence de surmoi moral classique. Eve projette sur Villanelle ses désirs refoulés, et Villanelle introjecte chez Eve une curiosité pour l’humain qu’elle n’avait pas. On pourrait parler ici de « miroir pervers », où chacune se découvre à travers l’autre. Leur attraction n’est pas d’abord une question d’homosexualité ou de bisexualité, mais de désir pur, de ce que Lacan appelle le désir de l’Autre : elles désirent ce qui, en l’autre, échappe à toute capture et à toute norme. Ce désir est insatiable, car il ne vise pas la possession, mais le maintien de la tension.
La chasse récurrente n’est pas seulement une intrigue policière : c’est un rituel inconscient. Eve trouve un sens, une excitation vitale, dans la traque. Villanelle trouve une forme d’amour dans le fait d’être poursuivie et reconnue par Eve. Ce rituel entretient une boucle compulsive - proche de ce que Freud nommait compulsion de répétition - où elles rejouent sans cesse la rencontre, la perte, la menace. La psychanalyse y verrait un fantasme d’« union par annihilation » : atteindre la fusion totale en détruisant les limites (physiques, morales, sociales). Dans ce schéma, la mort devient non pas un échec, mais l’achèvement logique du désir : être une à travers la disparition.
Killing Eve met en scène deux figures qui se construisent mutuellement à travers le désir, le danger et la transgression. Psychanalytiquement, c’est un récit de miroir pulsionnel, de fusion impossible, et de tension permanente entre Eros et Thanatos où la jouissance réside moins dans la satisfaction que dans l’éternel « presque ».

